Interview extraite du numéro 74 du magazine Rock Sound parue en novembre 1999 :


Rock Sound

La Grande Evasion



Interview par Frank Trooper & Princess Jada, photo de Philippe Mardukzzoni.


Ils viennent d'enregistrer aux Etats-Unis avec Jack Endino, producteur dont la renommée n'est plus à faire et s'apprêtent à fouler pour la énième fois les scènes françaises afin de promouvoir leur petit dernier "Escape". Ils continuent d'être contre la mondialisation et autres hypocrisies du monde moderne mais sont toujours aussi bien dans leur baskets. Bref, rencontre avec les Burning Heads, un groupe culte et toujours aussi modeste.


Vous avez enregistré cet album assez vite. L'urgence a-t-elle été un moteur dans la réalisation de "Escape" ?

Pierre : On n'a pas enregistré si vite que ça. Il y a des groupes de punk à qui il faut deux jours pour faire un album. Nous, il nous a fallu trois semaines pour quatorze morceaux. Ce qui peut sembler rapide en effet, mais pas tant que ça considérant ce style de musique.

Phil : Pour une fois, on a fini légèrement en avance par rapport aux prévisions. Faut dire qu'au mois de janvier, on s'était fixé l'échéance d'enregistrer en juillet donc il a bien fallu que les morceaux soient prêts.

P. : Endino a fait les mixes au bout de quinze jours et, là, on lui a dit qu'il avait un cul et nous un pied et qu'il valait mieux tout refaire (rires) !

Comment se sont passées vos retrouvailles avec Jack Endino ?

Ph. : Il était content. D'abord parce qu'il était chez lui, aux Etats-Unis donc "à la maison" et puis il avait meilleure mine que la dernière fois (rires). La première chose qu'il nous a dite quand on est arrivé c'est qu'il n'était pas content de ce qu'il avait fait précédemment avec nous. Il était remonté à bloc genre "Cette fois, vous aurez le meilleur son que vous ayez jamais eu !"

Thomas : Et puis, il nous a remerciés de lui avoir donné une seconde chance puique sur le premier, il n'était pas vraiment satisfait.

C'est épatant ! Ce type est quand même un ponte de la production, il en a vu d'autres...

Th. : Il est tellement pro que, vu l'idée qu'il avait de son travail précédent avec nous, il fallait qu'il fasse mieux cette fois. Même si nous, on a aimé son travail sur "Dive", faut avouer que le son de "Escape" est bien meilleur. Et puis nous, on était plus carrés aussi...

Avant d'aller le rejoindre à Seattle, vous avez passé un peu de temps à Los Angeles où vous avez fait quelques concerts, c'était une première pour vous, non ?

P. : Oui, ça c'est fait un peu à "l'arrache", au dernier moment. C'était histoire de dire qu'on avait joué aux Etats-Unis (sourire) ! C'étaient des petits sets d'une demi-heure dans de petits endroits.

Th. : Parce que si on avait été aux Etats-Unis rien que pour jouer, on aurait gagné... cent cinquante francs ! Juste assez pour une pizza (rires) !

Vous avez fait un mini show-case dans les bureaux d'Epitaph là-bas, ça ne leur a pas donné envie de vous signer (le groupe n'est pas encore distribué aux Etats-Unis) ?

Th. : Ils ont bu des coups, ils ont applaudi et puis voilà... Le lendemain, on est passé les voir, ils nous ont dit bonjour, et ils étaient contents (rires). Non, ils nous ont quand même dit que c'était bien et pour le reste... on le saura bientôt.

P. : C'était surtout une façon de dire : "On existe, voilà ce qu'on fait." Parce que je ne pense pas qu'ils entendent forcément parler de ce qui se fait en Europe. Que ce soit nous ou même un groupe comme Undeclinable Ambuscade, ils ont tellement de groupes sur place ! Mais, en ce moment, il y a le directeur de Epitaph Europe qui s'y trouve, on espère que cette fois, il aura emporté un cd des Burning dans ses bagages ! De toute façon, nous ne sommes pas pieds et poings liés avec Epitaph et il y a d'autres labels américains et canadiens avec qui ça pourrait bien se faire.

Ce qui est étonnant c'est que vous n'avez jamais, contrairement à plein d'autres groupes, eu des vues sur les Etats-Unis...

P. : Parce que, pour nous, la finalités c'est avant tout de faire des concerts. Le disque n'est qu'un moyen, pas un but. Effectivement, pour faire des concerts, il faut que les gens te connaissent donc il faut être distribué, ne serait-ce que pour les gens sachent que tu existes même s'ils ne t'achètent pas.

Ph. : En plus, le truc qui s'est offert à nous et qui nous intéressait c'était d'aller jouer en Europe.

Th. : En 1992, on a eu la chance - alors qu'on avait vraiment pas grand-chose comme disques derrière nous - d'aller faire une tournée en Europe juste pour la promo d'un quarante-cinq tours avec les Thompson Rollets. on s'est aperçu que, pas très loin de chez nous, il y avait des gens qui avaient une toute autre vision du monde que la nôtre, et que c'était intéressant.

P. : Et puis, pas très loin de chez nous, on pouvait y aller en camion (rires) !

L'album est assez court (trente minutes), c'est la première fois que vous faites un disque aussi court, pourquoi ?

Th : Pour éviter de dire des conneries ! C'est-à-dire l'inverse de ce qu'on avait fait sur "Super Modern World" par exemple. On va à l'essentiel. Mis à part les cinq minutes finales un peu souples de reggae pour calmer le jeu, c'est un disque qui est ce que nous faisions à nos débuts : court et dense. On était surpressurés, surentraînés puisqu'on avait fait un travail de Turc avant d'enregistrer et en plus dans un pays étranger... le pays de Starsky et Hutch (rires) ! On a travaillé dans la joie en prime. Plus ça va, plus les albums des Burning se font dans la joie et non dans la douleur comme au début.

Lequel a été le plus douloureux ?

Th. : "Dive". On allait enregistrer à l'autre bout de Paris, deux heures de transport chaque jour pour aller enregistrer dans un petit studio, sous le cagnard parisien.

P. : Les voisins nous balançaient des sceaux de flotte et de pisse quand on faisait trop de bruit (rires) !

Th. : L'exécution était laborieuse parce que tous les morceaux n'étaient pas prêts aussi, on a vraiment galéré...

Sur "Escape", sur quoi sont basés les textes ?

P. : Ils sont un peu moins tournés sur nous-même. C'est une colère internationale (rires) ! Ils sont mieux posés sur la musique et mieux exploités. Mais ils parlent toujours de dérision punk-rock, d'immigration, de troisième génération de gens qui foutent le feu aux bagnoles parce ce qu'ils n'ont rien d'autre à faire...

Th. : Il y a toujours autant de cynisme, de second degré...

P. : ... de l'image que pourront avoir les générations à venir sur la musique punk.

Th. : Comme nous on peut avoir un regard sur le jazz alors que ça a été considéré comme le truc le plus révolutionnaire quand c'est apparu.

Ph. : Alors que, maintenant, c'est devenu de la musique que l'on écoute pendant les cocktails avec des gens qui boivent en levant le petit doigt tout en théorisant sur des mondanités.

Th. : Peut-être que le punk-rock, longtemps après l'an deux mille aura une toute autre place que celle qu'il occupe aujourd'hui. On a essayé de faire un album en pensant au petit môme qui découvrira un disque des Burning dans l'armoire de son grand-père...


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